Amélie NOTHOMB : "Cosmétique de l'ennemi"

Que l'on aime Amélie lorsqu'elle ne parle pas d'Amélie !

Un long dialogue dans la salle d'attente d'un aéroport, alors que le vol pour Barcelone est  retardé. Les deux personnages dont l'un a besoin de parler et l'autre n'a pas envie d'écouter, vont nous déconcerter complétement.

Théâtral s'il en est, ce roman est d'une seule traite. Stimulant, énervant, parfois grandiloquent, à la limite du surréaliste, poétique aussi, jusqu'à devenir cruel, impitoyable, insupportable.

Amélie Nothomb fait de la littérature, et de la bonne. On est pris au piège de ce dialogue. Il nous enferme, nous contraint, nous pressure. Dans cet univers hitchcockien même l'explosion finale ne nous libérera pas pour autant.

Avec une réflexion sur le bien et le mal, sur la morale, sur l'enfermement de l'esprit, et avec malice et une pointe d'humour (qu'on lui connaît) l'auteure a produit là un roman épatant et probablement un des incontournables de sa riche bibliographie.

Marguerite YOURCENAR : "Mémoires d'Hadrien"

Que savais-je d'Hadrien avant d'entamer cette lecture ? Le castel Sant'Angelo le long du Tibre, un mur à la frontière de l'Ecosse et une villa à Tivoli ... Mais quoi, c'est qui cet Hadrien ? C'est un empereur romain depuis 117 et mort en 138, il succéda à Trajan (celui de la colonne).

Je pensais trouver une vie romaine, et ce récit est en fait une épopée. Une vie épique, faite de chevauchées à travers l'Europe, de navigations vers la Grèce ou l'Egypte,  faite de camps en Asie mineure, de batailles et de paix à trouver aux confins du limes ... loin des fastes romains et du mont palatin.

Trépidations, amours, amitiés, fidélités, tout y passe. La vie d'Hadrien est une œuvre. Il faut dire qu'il fût aidé par son temps, qui venait de s'éloigner des anciens dieux sans encore se rapprocher des nouveaux. Comme l'écrit Flaubert "Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu de Cicéron à Marc-Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été." Hadrien fit parti de ceux-là.

Alors, le texte est dense. La prose de Marguerite Yourcenar est exigeante, précise, érudite. Mais elle est aussi évocatrice, poétique et raffinée.

Il faut donc un bon appétit avant de se mettre à table devant cette œuvre. Il faudra aussi se munir d'une carte de l'Empire de cette époque pour bien situer les lieux de l'action et se rendre compte de la complexité des déplacements à cette époque. Mais on plonge ipso facto dans le quotidien du pouvoir exercé et de l'histoire qui se réalise et dont les traces sont multiples de nos jours encore et bien au-delà de quelques pierres ou colonnades dans la ville éternelle.

Un monument à lui tout seul ce roman !

Sorj CHALANDON : "Profession du père"

Comment vivre l'enfance avec un père comme ça ? Tour à tour chanteur, pasteur, professeur de judo, espion ... celui qui, en sous-main, influence les principales décisions politiques de son temps. Celui qui a été trahi par son meilleur ami, le général de Gaulle ! 

Pour l'enfant, c'est tout un univers qui va l’entourer, l'envahir, le marquer, l'emprisonner.

Poignant, le récit de cette enfance, dans cette famille où l'on ne pose pas de questions (tu connais ton père), va nous ramener dans cette France des années 60, dans cet univers patriarcal, où chacun s'accorde sur le pas du père, sur son récit, sur sa folie.

Comment alors, devenu adolescent puis adulte, se sortir de ce carcan ?

Voilà un très bon roman, un choc, une pierre sur un crâne, un coup de fouet sur les fesses !

Éducation, famille, transmission, secrets, violences familiales et conjugales, tout y est dans peu de places. Et pour couronner le tout, une écriture fine et sensible. Bref, sous un vernis de bons sentiments et de rigolades se cache la pire des méchancetés. Comme un tableau qu'on restaure, que ne découvre t'on pas dès que l'on enlève la première couche ?

Un coup de cœur !